L’énigmatique découverte de Roger Lhomoy à Gisors relança la légende du trésor des templiers. Mais le mystère reste toujours entier.
La nuit vient de tomber, arrachant au ciel ces derniers filaments de nuages rougis au soleil couchant. Une nuit sans lune comme les aime Roger Lhomoy. Une nuit dans laquelle sa silhouette se fond le long des murailles du château de Gisors. Au-dessus de lui, le fier donjon octogonal domine le corps d’enceinte de cet ancien castrum. L’enfant du Vexin normand connaît tous ces recoins depuis que la mairie lui a confié un logement sur le site, à charge d’en assurer la garde, l’entretien et l’accueil. Un travail de jour qui lui permet, le soir venu, quand Gisors est rendu à ses fantômes, de se transformer en chercheur de trésor. Oh ! pas n’importe quel trésor ! Mais le plus mystérieux qui soit ! Celui que les templiers auraient enterré ici après l’avoir évacué de Paris, en ce jour funeste, pour l’ordre, du 12 octobre 1307.
Une chapelle et trente coffres en métal précieux
Tout gamin, Roger Lhomoy s’est nourri de ce secret à la source des veillées du village, jusqu’à se convaincre que le trésor est dissimulé à Gisors, dans quelque cave ou souterrain du château. Et pour donner du corps à sa conviction, il n’hésite pas à mettre en avant le fait que c’est dans ses entrailles que le grand maître de l’ordre, Jacques de Molay, a été enfermé avant d’être exécuté sur l’ordre de Philippe le Bel.
Depuis qu’il a pris sa fonction, Roger Lhomoy repère, fouille, creuse sans relâche, cherchant au pied de la motte du donjon la moindre cavité ou le moindre souterrain qui le conduirait à la découverte du fabuleux trésor. Durant l’Occupation, les Nazis se sont intéressés de près à Gisors, entreprenant même des fouilles. Le gardien a attendu la Libération pour reprendre de plus belle ses recherches. Au cœur de l’enceinte du donjon, il commence par dégager le puits. Un travail de titan, sans sécurité, qui lui permet de descendre à trente mètres de profondeur. Jusqu’au moment où les parois s’effondrent, lui brisant la jambe.
Roger Lhomoy ne renonce pas pour autant. Insatiable, à peine guéri, il se remet à creuser à quelques mètres du puits. A seize mètres de profondeur, il tombe sur une salle… vide. Touche-t-il au but ? Il en est persuadé. Nuit après nuit, il dégage une galerie horizontale de neuf mètres avant de replonger à la verticale, atteignant la profondeur de vingt et un mètres.
Ce soir du mois de mars 1946, la roue de la chance tourne en sa faveur. Un mur en moellons de pierre taillée lui apparaît soudain. Décelant quelques pierres, il se faufile à l’intérieur et débouche sur une vaste salle qui recèle le rêve de toute une vie :
« Ce que j’ai vu à ce moment-là, je ne l’oublierai jamais, car c’était un spectacle fantastique. Je suis dans une chapelle romane en pierre de Louveciennes, longue de trente mètres, large de neuf, haute d’environ quatre mètres cinquante à la clef de voûte. Tout de suite à ma gauche, près du trou par lequel je suis passé, il y a un autel, en pierre lui aussi, ainsi que son tabernacle ; à ma droite, tout le reste du bâtiment. Sur les murs, à mi-hauteur, soutenues par des corbeaux de pierre, les statues du Christ et des douze apôtres, grandeur nature. Le long des murs, posés sur le sol, des sarcophages de pierre de deux mètres de long et de soixante centimètres de large : il y en a dix-neuf. Et dans la nef, ce qu’éclaire ma lumière est incroyable : trente coffres en métal précieux, rangés par colonnes de dix. Et le mot coffre est insuffisant : c’est plutôt d’armoires couchées qu’il faudrait parler, d’armoires dont chacune mesure deux mètres vingt de long, un mètre quatre-vingt de haut, un mètre soixante de large. »
L’omerta des autorités
Affolé par cette découverte, Roger Lhomoy, dès le lendemain, ne fait ni une, ni deux. Il se précipite à la mairie pour révéler sa trouvaille. La nouvelle laisse sceptique les édiles. Le gardien est connu comme un excentrique. Maire en tête, la délégation municipale décide quand même d’aller y jeter un œil. Sait-on jamais ! Mais devant la dangerosité que représente une descente non sécurisée personne, seul l’ancien officier du génie, Emile Beyne, daigne pénétrer à l’intérieur de l’excavation. En remontant sans être parvenu au fond, il révèle toutefois que des pierres lancées dans la cavité ont provoqué une « résonance ».
Le maire de Gisors ne sait que penser de cette histoire. Craignant toutefois que des recherches supplémentaires provoquent de l’agitation autour de l’éventuel trésor du château, imaginant être la risée de la population si, d’aventure, la nouvelle se transformait en canular, il ordonne de faire reboucher l’entrée afin que personne ne s’y aventure et révoque Roger Lhomoy. Contrarié par cette décision, le gardien tente dès lors d’alerter les autorités départementales pour faire reconnaître sa découverte et poursuivre ses recherches. En vain ! Il obtient même de l’Etat une autorisation de fouilles que la municipalité lui refuse. En 1947, André Astoux un proche de De Gaulle et André Malraux se rendent sur les lieux. Sans donner suite à d’éventuelles fouilles.
Une douzaine d’années s’écoule quand l’affaire rebondit. Gérard de Sède, celui-là même qui est à l’origine du renouveau de Rennes-le-Château (voir article Rennes-le-Château. Entre fantasmes et certitudes : la vérité au-delà du mythe !), publie en 1962 un ouvrage, Les Templiers sont parmi nous, au sein duquel Roger Lhomoy révèle son incroyable découverte et l’omerta qu’elle a provoquée de la part des autorités.
André Malraux s’empare de l’histoire
La chasse au trésor est relancée. La presse ne se fait pas prier pour relayer l’information, jouant sur la trilogie « légendes templières, trésor mystérieux et intrigues », prétextant qu’un trésor caché reste, par évidence, un trésor à découvrir. Du coup, Gisors devient le centre attractif des chercheurs de tout poil, nourri à la cuisine templière. Et comme personne ne trouve rien, chacun y voit la main secrète d’un complot visant à cacher ce trésor.
L’affaire, devenue médiatique, remonte jusqu’au ministère de la Culture. Interpellé sur ce sujet, le ministre André Malraux finit par donner son accord pour effectuer de nouvelles fouilles officielles. Cette fois, on allait voir ce qu’on allait voir ! Des soldats du génie sont envoyés sur place. Pierre Plantard, un usurpateur qui n’est autre que l’inventeur du prieuré du Sion, ami intime de Malraux, conseille Roger Lhomoy. Les sapeurs creusent autour du fameux puits jusqu’à vingt-neuf mètres de profondeur, de septembre au 12 octobre 1962. Bernique ! Pas la moindre trace de salle et de chapelle ! Et de trésor encore moins ! Un nouvel épisode qui jette le discrédit sur Roger Lhomoy. Le ministère ordonne finalement l’arrêt des fouilles. La rumeur enfle. Des explications sont demandées au ministre. « Il s’est agi, répond le ministère, essentiellement de vérifier les explications d’un ancien gardien du château qui s’est livré, durant l’Occupation, à des explorations clandestines. Les recherches entreprises ont consisté à retrouver les lieux tels qu’il les avait laissés, ce qui a été fait sans qu’apparaisse la moindre trace de salle souterraine. Revenant alors sur de précédentes déclarations, l’auteur des premières fouilles affirme avoir rebouché l’orifice sur une profondeur d’environ 1,50 mètres. Bien que les arguments d’ordre historique laissent très peu de place à la confirmation des hypothèses émises, j’envisage de faire effectuer, avant qu’on ne comble le trou, le déblaiement des dernières couches de terre, afin de lever toute incertitude au sujet de cette affaire. »
Les fouilles recommenceront bien, mais avec un an de retard. Et pour accroître la rumeur, le terrain sera classé « zone militaire ». De quoi donner du grain à moudre à tous ceux qui voient dans cette démarche un secret d’état. Les archives secrètes des Templiers auraient-elles alors été déménagées par Pierre Plantard ? Un trésor a-t-il été récupéré ? Autant de questions restées toujours sans réponses, marquée par le décès de Roger Lhomoy en 1976, emportant son secret dans la tombe, comme l’abbé Saunière à Rennes-le-Château et six siècles après la disparition du trésor des templiers
Des banquiers de l’Europe au mythe du trésor
Quand Philippe le Bel ordonne l’arrestation des chevaliers du Temple, l’ordre est immensément riche. Au fil des décennies, et durant deux siècles, il a acquis de nombreuses terres et commanderies, possède des forteresses inexpugnables, entretient une armée chargée de la protection des pèlerins en marche vers la Terre Sainte et pratique des activités bancaires à travers toute l’Europe chrétienne au point que le roi de France lui-même est débiteur de l’ordre.
Cette richesse a forgé le mythe du trésor des Templiers, associée aux mystères qui entourent les pratiques du Temple et l’arrestation de ses membres. De Gisors (git-or) à l’Angleterre, en passant par la chapelle du Temple à Paris et l’Auvergne, la route du trésor des Templiers possède ses partisans et ses détracteurs mais surtout ne repose sur aucun document tangible.
Comme le veut la légende, trois chariots camouflés quittent Paris le jour même de l’arrestation des Templiers. Direction la côte normande et l’Angleterre où l’ordre sait pouvoir trouver refuge sans être inquiété. Le château de Gisors se trouve sur cette route. Il a appartenu autrefois aux Templiers avant de devenir une forteresse royale. Les chariots ont-ils continué leur route ? Se sont-ils arrêtés à Gisors ? Quand la réalité frappe à la porte de la légende, les imaginations s’enflamment, dépassant le cadre de l’Histoire pour faire commerce de rêves !
Chronologie
1118. Fondation de l’ordre du Temple.
13 octobre 1307. Arrestation ordonnée par Philippe le Bel des membres de l’ordre du Temple.
18 mars 1314. Exécution du grand maître Jacques de Molay.
Mars 1946. Roger Lhomoy affirme avoir trouvé une salle à Gisors contenant le trésor des Templiers.
1962. Parution du livre de Gérard de Sède « Les Templiers sont parmi nous ».